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Rencontres avec...

PIERRE COLLOMBERT

L'OBJECTIF DES PAYSANS


Une photo qui a été utilisée à de multiples reprises, avec des légendes différentes, mais souvent pour faire état des difficultés du monde agricole.


Peu de paysages dans le travail de Pierre Collombert mais surtout des photos de cultures, du travail de l'homme.


La porte tout le jour demeure ouverte et laisse entrer paisiblement au coeur de la maison la lumière du ciel et l'odeur des saisons. – Louis Mercier
 

Il ressemble à Darry Cowl. Comme l'acteur, il a des lunettes cerclées d'or et glisse en permanence des éclats de rire entre ses phrases. Pourtant au début de la rencontre, en ce vendredi soir, on le sent tendu, crispé et très vite la raison de cette inquiétude est dévoilée : "Je ne suis jamais allé dans un photo club. Je n'ai jamais eu de regards critiques comme le vôtre" annonce le banlieusard d'adoption. Aussi, comme pour se justifier, Pierre Collombert précise ce qu'il semble considérer comme un manque et, même s'il ne le dit pas, comme une insuffisance : "Mon véritable amour de jeunesse, dans ma Savoie natale a été celui de l'image, mais surtout celui du cinéma : La Strada, Quand Passent les Cigognes... J'ai vu 40 ou 50 fois Les Raisins de la Colère. Je connais par coeur l'image du début : un chemin en croix". Ce qui attire donc au départ le futur photographe, c'est d'abord ce rectangle, animé ou non, qui offre la possibilité d'enfermer une émotion, un moment. Plus que la photo, l'image l'impressionne. Cette origine explique certainement le décalage existant entre le travail de Pierre Collombert tourné avant tout vers la récolte de photos qui doivent montrer une réalité, raconter une histoire, et celui plus esthétique de photographes comme Raymond Depardon ou Robert Doisneau, qu'il fustige souvent, de manière injuste. Sa formation d'autodidacte confirme ce choix: "Je suis un intuitif. Je n'ai jamais lu de bouquins techniques ni ouvert de revues photos". C'est donc sur le tas, dans divers petits boulots que le Savoyard va apprendre la photo: tirage en séries de cartes postales, petits reportages, dont certains comme celui consacré à la visite parisienne de Youri Gagarine le dégoûteront à jamais de la presse événementielle. "Par la manière de se faire sa place pour obtenir le meilleur angle, j'ai compris que ce métier là n'était pas pour moi" dit il en riant, évoquant par des gestes explicites une carrure de catcheur qu'il n'a pas. Et c'est un pur hasard, qui va déterminer toute sa vie professionnelle: une rencontre avec un responsable syndical agricole dans un ascenseur, un rendez vous (qu'il oublie presque), et c'est ainsi que commence pour plus de 25 ans une carrière de photographe professionnel dans la presse agricole. Le journal du Centre National des Jeunes Agriculteurs, va accueillir ainsi ses photos jusqu'en 1994, année d'une retraite méritée et qu'il apprécie à sa juste valeur. Les amateurs du club d'Offranville découvrent à cette occasion les contingences difficiles d'un métier qui ne fait pas de cadeaux: "Chaque semaine, tout est remis en cause. On n'est jamais sûr d'être de nouveau en reportage 10 jours plus tard ! Même moi, j'ai failli être remercié après 20 ans de travail par mon employeur principal". Il a gardé de cette obligation de résultats, une fatigue morale qui ne le fait plus guère déclencher aujourd'hui: une indication précieuse pour les amateurs qui rêvent de ces professionnels vivant de leur passion. Et puis il y a des remises en cause perpétuelles comme ce passage obligé à la couleur, imposé par des éditeurs soucieux de suivre l'évolution technologique, couleur que Pierre Collombert semble avoir vécu comme un recyclage difficile. Mais là encore nécessité fait loi et après 1970, les Nikon remplaçant les Leica, seront alors chargés à la fois en noir et blanc et en couleurs.



Une photo qui sert parfois d'affiche à l'exposition de Pierre Collombert.
 


Il ne faut pas toujours aller loin pour photographier. Cette image a été réalisée près de chez Pierre Collombert, à Ecquevilly : "Quel port formidable à plus de 90 ans. Toute la dignité d'une vie d'homme"
 

FAIRE RESSORTIR L'INTERIORITE D'UN ETRE.  Normal donc que ce soit dans ses tirages noir et blanc que Pierre Collombert exprime le mieux sa conception de la photo et des sujets agricoles qu'il aborde. Pour lui l'essentiel est dans le rapport avec les hommes et la nature: "Van Gogh disait que la plus belle architecture ne vaut pas les yeux d'un pauvre gueux ou d'une prostituée. Pour moi une photo réussie est celle qui fait ressortir l'intériorité d'un être. Il appartient au photographe de saisir le moment ou chacun d'entre nous tombe le masque qu'il se compose pour vivre. C'est un instant fugitif, qu'il faut capter avec son instinct". Instinct. Retour aux premiers mots de la rencontre dans cette volonté de "ne pas refaire le monde selon ses propres yeux", comme Raymond Depardon qui montre, selon le jeune retraité, une vision misérabiliste de sa famille agricole. Ainsi à l'esthétisme, préfère-t-il, la réalité, la fourniture d'une information objective : l'occupation de l'espace sur la pellicule sera accessoire, si le veau ne tourne pas la tête vers le photographe, pourvu qu'il soit vu ainsi en entier. Une démarche en fait qu'expliquent la formation et l'histoire de Pierre Collombert, mais aussi sa participation à une presse avant tout d'information. Alors ce regard qu'il veut neutre, il le met au service de ces paysans, de ces agriculteurs qu'il a côtoyés des décennies durant et de ces paysages, qu'il photographie peu: "La campagne à l'état de nature, je ne pense pas qu'elle soit belle ; c'est le travail de l'homme qui la rend belle. Quand j'ai commencé dans le métier, il y avait du monde dans les champs. Aujourd'hui, on ne voit plus que des gros engins. Le photographe y a perdu". Pourtant aucune nostalgie dans ses paroles même si les agriculteurs sont devenus eux aussi des hommes pressés : "Eux qui avaient toujours le temps de parler, regardent désormais souvent leur montre". Cette transformation, on la perçoit dans ses photos noir et blanc, nostalgiques et humaines, qui précèdent des photos couleurs, où l'engin occupe une place prépondérante. On devine la préférence de Pierre Collombert entre ces deux techniques qui traduisent symboliquement des périodes de vie différentes.



Il ne faut pas voir les paysans d'aujourd'hui comme des indiens.


"Papa ! Y'a un monsieur qui est venu pour la vache..."
 

Pourtant il conclut en affirmant fermement qu'"il faut éviter d'être passéiste, de rêver d'un monde mythique, mort et enterré. Dans mon métier je me suis attaché à montrer des jeunes agriculteurs d'aujourd'hui, dynamiques, entreprenants. Ils sont comme cela alors évitons de traiter leur univers comme une réserve d'indiens". Cette campagne nouvelle, il la parcourt désormais sur son vélo grâce à cette passion qui occupe désormais une place importante dans sa vie. La photographie demeure certes présente, mais surtout par la diffusion d'une superbe exposition de plus d'une centaine de photos, qui traduit dans de grands tirages 30X40, plus de 20 ans d'évolution du monde rural. Là encore témoignage, document d'histoire, plus qu'esthétisme pur. Au moment de se quitter, un grand sourire éclaire le visage de Pierre Collombert, enfin détendu. Le choc entre des conceptions différentes de la photo n'a pas eu lieu; chacun a découvert lors des discussions en aparté devant les tirages, la vision de l'autre. Un rapprochement symbolique de la photographie, art si divers, et si riche. Aussi, le lendemain, c'est avec sérénité que Pierre Collombert enfourcha sa bicyclette, apportée entre des boîtes de tirages, pour découvrir quelques routes de la campagne normande. Sans aucun boîtier dans les poches.

Eric Rubert
 

Pierre Collombert a publié notamment Le Cri des Paysans, ouvrage épuisé d'où sont extraites les photos de cette page (Editions SVED). Vous désirez avoir des précisions sur l'exposition de Pierre Collombert, n'hésitez pas à le contacter au 01 34 75 53 01.


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