Vous
n'avez plus que quelques instants à vivre...
C'est certain. Aucun moyen de vous échapper. Devant vous, une
masse compacte vous fait face et s'apprête à foncer pour
vous encorner. Dans une dizaine de secondes le rhinocéros blanc
va charger. Rien ne dépasse, tout est parfaitement symétrique
et donc puissant. Vous sentez déjà le sol trembler sous
vos pieds. C'est fini.
Lorsque vous sortez de votre frayeur, vous constatez avec bonheur qu'il
ne s'agit que d'une photo, certes grand format, mais un simple tirage
d'exposition. Pourtant tout est là et la présence graphique
révèle tout le talent de Bruno Calendini qui a déclenché
au moment opportun, celui où l'animal est le plus compact possible.
Peu importe, si l'image nous donne ou non une information naturaliste,
l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est dans l'émotion,
l'esthétisme, le portrait.
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Car avant 2005, des animaux sauvages, Bruno Calendini ne connaissait
pas grand-chose. Photographe autodidacte, il s'était promis à
ses débuts, il y a plus de 20 ans, de ne se spécialiser
dans aucun domaine et de « toucher à tout »
: mode, publicité, portraits, plateaux télé...
« Je veux être un photographe éclectique »
aime t'il souligner. Aussi, quand on lui propose de tester du matériel
et plus précisément sa capacité d'autonomie, au
Botswana, il accepte volontiers cette nouvelle expérience.
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« Je
ne voulais en aucun cas faire de la photographie animalière »
poursuit-il, « ma volonté a été dès
le début de rechercher l'émotion esthétique ».
Premier symbole de cette démarche, l'utilisation du tirage sépia
« parce que j'ai trouvé que cela fonctionnait bien dès
le début et cela démarquait mon travail d'un travail de
photographe naturaliste ». On aurait pu imaginer que
ce choix monochrome diminuerait l'impact des images en atténuant
la violence de la vie sauvage au Kenya, en Tanzanie, à Madagascar
ou en Afrique du Sud. Or, il ne fait que valider la volonté esthétique
initiale du photographe. Même la robe striée des zèbres,
symbole du noir et blanc et tant de fois utilisée par les photographes,
prend sous cette forme une nouvelle valeur. |
 Cette
couleur sépia est aussi un petit clin d'œil à ces
photos trouvées dans des boîtes à chaussures, témoignages
d'un monde disparu ou qui va disparaître, une crainte qu'exprime
le photographe pour l'avenir de la savane africaine. Simultanément,
le sépia restitue fidèlement, et avec violence, un des
choix du photographe : le rendu de la matière. La langue du lion
cherchant à attraper quelques mouches importunes, la peau craquelée
et terrifiante du crocodile, les plis de la peau humide de l'éléphant
traversant la rivière au coucher du soleil, prennent ainsi une
force inégalable, qu'accentue encore la qualité exceptionnelle
des tirages. La matière figée et éclairée
est belle et restitue la puissance de la nature. |

La mort n'est peut être pas esthétique et l'on ne trouve
dans le travail de Bruno Calendini aucune photo carnassière si
chère aux photographes animaliers. La seule photo d'un repas
est celle d'un guépard dont la proie, une gazelle, remplit opportunément
le cadre dans une attitude de sommeil. Pas de sang, pas d'images clinquantes
et même la violence, exprimée dans une énorme gueule
ouverte d'un hippopotame, est magnifiée. |
« Je
veux sublimer ces animaux » explique le photographe
et le graphisme est une autre facette de cette volonté. Parfois,
cette démarche conduit à l'épure totale comme cette
photo énigmatique de l'envol d'un héron cendré
qui confine à l'abstraction, l'envol de l'oiseau copiant par
mimétisme sa branche de départ. Les flamants du lac Nakuru
forment, à contre-jour, des notes de musique blanches accrochées
et suspendues à une portée invisible. Le cou de la girafe,
sur la photo de couverture du livre Sauvages (*), semble raide,
rigide, coincé dans sa netteté, par un autre cou ondoyant
comme un serpentin flou. |
Alors
si la mort est absente, par contre l'instinct de mort est présent
mais simplement évoqué, suggéré, sublimé.
Les grands formats sont de rigueur à cette occasion et l'animal
est seul, perdu dans l'immensité du paysage et des ciels qui
appellent l'éternité : l'éléphant, silhouette
lourde à côté d'un arbre hiératique dans
la savane, le buffle massif perdu au lac Nakuru devant de frêles
flamants ou encore le babouin dominant la vallée dans un bâillement
qui ressemble à un cri de mort.
Les photos de Bruno Calendini ne nous apprennent rien du mode de
vie des animaux mais à travers des « portraits »,
mot qu'il utilise souvent et qui explique bien sa démarche,
il réussit sans aucun anthropomorphisme, à nous transmettre
ce message : les animaux et la vie sauvage sont d'une beauté
totale, à couper le souffle.
Par sa manière d'être, sa modestie, son
écoute, le photographe a réussi son pari et sa patte d'éléphant
recouverte de la terre d'Afrique qui s'envole sous la poussée
du pachyderme nous raconte, plus que bien des discours, la beauté
d'un monde qu'il faut savoir observer. Et préserver.
Éric Rubert
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