« OMAHA BEACH : 6 juin 1944 » : un photographe pour la légende
La
couverture de l'ouvrage, coupée en deux, dit tout : champ, contre
champ. Champ : c'est l'une des photos les plus connues au monde,
celle qui a fait dire à Spielberg, que sans elle, le film « Le
Soldat Ryan » n'aurait jamais existé : on y voit un
soldat américain débarquant sur la plage d'Omaha Beach
le 6 juin 1944 : « The face in the surf ». Contre
champ : un dessin nous montre le photographe, Robert Capa, protégé
derrière un hérisson métallique, appliqué
à cadrer le soldat débarquant. En choisissant cette photo de Robert Capa pour débuter, ce qui devrait devenir une collection, les partenaires éditoriaux, ont fait un choix qui s'imposait. D'abord, le moment qui correspond aux célébrations du soixante dixième anniversaire du débarquement en Normandie. Mais aussi parce que cette photo permet de raconter tellement d'histoires annexes étonnantes, certaines connues mais d'autres moins. La
première partie, remarquablement servie par le dessin noir et
blanc de Bertail, dessinateur de « Ghost Money »,
raconte notamment le débarquement de Capa, qui choisit de partir
avec la première vague, pour être au plus près des
combats mais qui retourna vers l'Angleterre une heure et demie plus
tard, s'accusant alors de lâcheté. Les noirs profonds,
comme le regard et les cheveux du photographe d'origine hongroise, dont
on découvre de magnifiques portraits photographiques, accroissent
l'intensité de l'évènement et dramatisent des scènes
pourtant mille fois reconstituées. En voyant, par le dessin, le photo reporter débarqué, on mesure l'incongruité extrême de la présence d'un homme venu sur la plage, derrière les chars d'assaut, avec pour seule mission de témoigner pour le futur. Risquer sa vie pour une photo, risque insensé, qui fit dire plusieurs décennies plus tard au soldat immortalisé sur le document: « je ne savais pas qui était ce gars sans arme. Mais franchement je me suis demandé ce qu'un photographe foutait là ! ». C'est qu'il était hors norme Endre Erno Friedmann, dit Bob Capa, lui qui s'était illustré pendant la guerre d'Espagne, et sa fameuse photo « Mort d'un Républicain espagnol », aujourd'hui controversée. Sa devise, souvent citée par les reporters, le caractérise jusqu'à la caricature : « Si tes photos ne sont pas bonnes c'est parce que tu n'es pas assez près ». Et ce 6 juin 1944, Bob applique son précepte, armé de ses deux Contax préférés, aux courtes focales. Comme ses camarades, il est dans l'eau jusqu'au cou, sous les balles de mitrailleuse qui fusent de part et d'autre. Le flou, qui ne doit rien au tremblement de peur comme l'insinua « Life » à la grande fureur du photographe, mais résulte du peu de lumière, de la position acrobatique du photographe, ce flou ajoute à l'intensité dramatique. Capa est un homme, et sur la plage de sable, il a peur. Cet homme, on le découvre mieux dans la deuxième partie du livre richement illustrée de magnifiques photos souvent méconnues et tirées des archives de Magnum. On savait sa participation à la création de l'agence en 1947 avec notamment Cartier Bresson (dont il était l'anti thèse) et David Seymour. On connaissait son charme époustouflant de dragueur impénitent, son incompétence de gestionnaire. On découvre son goût pour les jeux, sa minutie pour préparer son matériel avant un reportage, sa carrière de patron de presse, son cynisme parfois. Une œuvre d'art pour devenir mythique doit naître dans un environnement exceptionnel, susciter des interrogations et des mystères (La Joconde est elle vraiment une femme ? Ou un homme ?). Tout a concouru à faire de « The face in the surf » une photo inoubliable, au delà de sa qualité intrinsèque et de sa force émotionnelle. D'abord, la brûlure des films au séchage à l'exception de onze photos, la onzième s'étant d'ailleurs immédiatement perdue. Le fait également que le seul autre photographe, Landry, débarqué à Utah Beach, verra ses films se perdre à jamais dans leur acheminement vers Londres. Onze photos du débarquement, c'est tout ce qui reste de la vie menacée de ces deux hommes et de cet événement unique dans l'histoire de l'humanité. Et puis il y a encore l'identité erronée puis corrigée du soldat photographié. Et le lieu de débarquement reconstitué de Capa différent de celui qu'il croyait en toute bonne foi avoir atteint. On peut, et le livre le fait excellemment, tirer les fils à l'infini de ce petit morceau de celluloïd pour arriver au mythe. Ces fils Capa les a tirés également dans sa vie personnelle et professionnelle jusqu'à en mourir un jour de Mai 1954 en Indochine. A 15 heures, le 25 mai il prenait une photo de soldats en patrouille avec le Nikon qui avait remplacé ses Contax, photo qui clôture l'ouvrage. A 15 heures 10 il sautait sur une mine. Cette dernière photo est la seule photo couleurs du livre. Comme si la lumière de la couleur voulait éclairer une dernière fois l'œuvre du plus grand photo journaliste de l'histoire. (*) « La grande Guerre : le premier jour de la bataille de la Somme » de Joe Sacco. Éditions Futuropolis. Ce livre a la particularité de se présenter sous la forme d'une frise de 7 mètres de long, sans parole et sans texte, qui raconte en images cette première journée meurtrière. « Omaha
Beach 6 juin 44 » Édité par Magnum Photos /
Aire Libre. Scénario Jean David Morvan et Séverine Tréfouël.
Dessin : Dominique Bertail. Texte : Bernard Lebrun. 15 euros 50.
Eric Rubert |
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