« REPONSES PHOTO » HORS SERIE N°18 :
« BIEN CADRE, C'EST GAGNE ! » (été 2014) |
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Photographier,
c'est avant tout apprendre à voir. Le dernier Hors Série
de « Réponse Photo » en apporte la
preuve.
Avec talent. |
Les revues spécialisées
dans le domaine photographique privilégient trop souvent le matériel
ou la technique. Or un photographe est avant tout un « œil » .
Le Hors série 18 de « Réponses Photo »
en traitant du cadrage et de la composition s'attache à éduquer
cet œil. Ou comment organiser l'espace dans un rectangle, dans
un carré.
Réponses
Photo est un mensuel et à ce titre il n'échappe pas aux
défauts de ses concurrents : partie importante consacrée
au matériel qu'il conviendrait de renouveler chaque mois, ou
presque, critique de photos amateurs (d'accord, pas d'accord), sempiternelle
thématique consacrée aux paysages, aux nus, à la
photo de voyage etc... Pourtant, sous l'instigation notamment de son
rédacteur en chef Jean Christophe Béchet, photographe
reconnu, ce mensuel fait entendre parfois une voix un peu dissonante
par des analyses critiques sur le numérique, sur le « tout
matériel », en invitant, pour certains numéros,
de grands photographes reconnus (Depardon, Salgado), en offrant des
pages port-folios à de jeunes photographes innovants, en prônant
en fait une photographie « d'auteur ».
Cette
spécificité s'affirme encore plus dans des numéros
hors série saisonniers, où délivrée d'une
parution mensuelle récurrente, la rédaction peut affirmer
clairement et délibérément sa conception exigeante
de la photographie. Après cet automne un très beau numéro
consacré à la « Série photo »,
déjà présenté dans cette rubrique, la revue
s'attache cette fois ci au « cadrage et à la composition »,
autant dire de suite à l'essentiel de l'image : organiser
l'espace, le temps d'un millième de seconde, pour que cet instant
figé soit harmonieux et évocateur en la forme.
Souvent
l'exemple est préférable au discours et le magazine s'appuie
donc essentiellement sur des port folios originaux et variés
accompagnés d'interviews des auteurs pour traiter des deux thèmes
du numéro. Ici pas de « cours », théoriques
et basiques (règles des deux tiers pour l'horizon, sujet non
centré etc...) mais plutôt un apprentissage à travers
le regard d'autres photographes. Chaque auteur de port folio commente
son travail et explique ses choix, qui débutent pour le cadrage,
par les choix du matériel par exemple. C'est ainsi qu'Éric
Pillot, lauréat du prix HSBC 2012, a retenu le format
carré pour traiter de manière étonnante des photos
animalières de zoo, le carré offrant « une
forme plus régulière, plus symétrique et (…)
harmonieuse ». Le résultat est impressionnant même
si l'originalité repose essentiellement sur un traitement technique
du fond et la composition.
En
fait les différentes interviews démontrent qu'il existe
plusieurs types de cadrage possibles d'une même photo, avec une
volonté finale du photographe différente. Là encore,
plus que des règles strictes trop souvent érigées
en dogmes, et qui ne sont pas sans rappeler les sinistres « consignes »
du Salon de peinture de la fin du dix neuvième siècle,
la revue privilégie l'originalité et l'œil du créateur.
Seul compte le résultat, principe qui aboutit même au paradoxe,
que Cartier Bresson, le chantre du cadrage unique et non retouché,
était admirateur de la photo célèbre de trois enfants
noirs se jetant dans une vague de Martin Munckasi,
photo connue pourtant avec de multiples cadrages, tous aussi efficaces.
Cadrage
mais aussi composition, l'un est souvent lié à l'autre,
et la césure artificielle que tente de créer parfois la
revue, est un peu laborieuse. Composer c'est cadrer et cadrer c'est
composer. C'est ce que démontre un formidable travail de Laurent
Lavergne, photographe amateur et membre du club d'Issy les
Moulineaux, structure qui privilégie les travaux d'auteur sur
l'approche technique, et prouve ainsi qu'il est toujours possible de
faire « entendre » son œil ! Le quartier
parisien de Beaugrenelle, inauguré au début des années
70, est totalement orienté vers le ciel et les verticales. Laurent
Lavergne a choisi des cadrages horizontaux et des compositions linéaires,
privilégiant les murs et le sol, pour un résultat graphique
étonnant ou la structure géométrique des lignes
d'architecture est ponctuée par la présence de silhouettes
humaines.
Et
puis « Réponses Photo » demeure un adepte
de la photo d'avant le numérique, non pas dans un nostalgique
retour à l'argentique, mais dans la manière de travailler :
pas de « mitraillage » ou de « on
verra avec l'ordinateur » mais une habitude de prise de vue
rigoureuse, en cadrant au mieux dès le départ, en privilégiant
les focales fixes, et en préférant une prise de vue soignée
à un traitement informatique postérieur. Les photographes
« historiques » sont ainsi rarement oubliés
dans un Hors Série. Il n'est donc pas étonnant donc que
ce numéro accorde une large place à l'analyse de planche
contacts de Sabine Weiss, âgée de 90 ans.
La planche contact en dit plus que des multiples discours : elle
révèle comment un(e) photographe traite le sujet, appréhende
l'espace, la lumière, le moment. Le choix de la photo finale,
qui change parfois avec le temps, vaut des dizaines de cours photographiques.
Les planches analysées de la photographe révèlent
parfaitement ses préférences esthétiques : rapport
privilégié avec le sujet, objectif de 50 mm, cadrage au
plus juste. On découvre ainsi que l'un des choix, simples mais
essentiels en photographie de reportage, est celui du cadrage :
vertical ou horizontal, véritable décision qui organise
la composition. Un portrait formidable d'un très jeune mineur
dans le nord de la France en 1955, photographié successivement
verticalement et horizontalement, démontre cette différence.
On comprend aussi combien il est plus judicieux de tourner autour du
sujet pour trouver le bon angle plutôt que de zoomer et déclencher
sans relâche.
Autre
port folio remarquable, parmi d'autres, celui de François Régis
Durand qui s'est consacré aux femmes du « Nouvel hôtel »
à Madagascar, nouvel hôtel ouvert en fait depuis 1930.
Son travail exceptionnel est autant le fruit d'une approche humaine
sensible et d'un traitement significatif de la couleur que de cadrages
particuliers.
On l'aura bien compris, fidèle à sa ligne éditoriale,
le magazine privilégie d'abord la présentation du photographe
et son travail, pour analyser ce dernier ensuite. Les thèmes,
les séries, la colorisation, le travail de post traitement forment
un tout dans lequel participent à parts égales, le cadrage
et la composition..
Remarquable
numéro Hors Série donc, à la fois par la qualité
rédactionnelle, la qualité d'impression et des port folios
qui invitent à la réflexion. Dans ses hors séries,
Réponses Photo défend une photographie de qualité,
d'auteur se distinguant ainsi de Chasseur d'Images, plus basique et
destinée aux débutants. La photographie s'apprend essentiellement
en regardant le travail d'autres photographes, plus que dans des livres
techniques. Dans ce domaine Réponses Photo est un magazine essentiel.
Réponses
Photo Hors série N°17 daté Eté 2014 « Cadrage
et Composition ». 6,90 euros en Maison de la Presse