ROMAN
VISHNIAC : UN PHOTOGRAPHE DU SIECLE
Une
petite fille engoncée dans un manteau d'hiver pose devant une vitrine.
Cette photo est subversive. Vishniac et son travail sont alors une parfaite synthèse de ces années trente qui vont faire date dans l'histoire de la photographie. A l'image d'Atget, et comme Cartier Bresson, au début de cette décennie, Vishniac s'affranchit de la comparaison avec la peinture et sort dans la rue avec son Rolleiflex, et bientôt son Leica, pour saisir la vie. Saisir l'anecdote certes à l'occasion de moments sociaux festifs mais aussi, et surtout, avec une volonté de composition qui n'est pas sans rappeler le désir d'occuper l'espace de la pellicule par une harmonie de lignes chère au photographe français. Comme chez ce dernier, des ouvrages métalliques, des rambardes d'escalier composent souvent l'image. Ou alors ce sont les ombres et les lumières au très fort contraste qui structurent l'espace comme cette superbe image du hall de gare de Berlin qui constitue l'affiche de l'exposition parisienne (1). Vishniac colle à cette évolution et une photo en plongée de zoo où deux ours blancs semblent observer des visiteurs en cage témoignent parfaitement de ce regard différent apporté par une nouvelle génération de photographes. Par ses origines et sa vie à Berlin, il est en première ligne face aux évènements qui secouent d'abord l'Allemagne. Connu, il va donc être missionné par le Joint pour témoigner. Là encore, il colle à son temps avec cette « commande » semblable à celle que Roosevelt vient de faire pour la première fois de l'autre côté de l'Atlantique, avec la création de la Farm Secutity Administration (la FSA), chargée de témoigner de la condition de vie paysanne dans le sud des États Unis. Ce travail documentariste du photographe présente alors de nombreuses parentés avec celui de Walker Evans ou de Dorothea Lange (voir article sur le site). Des
portraits au regard détourné et insondable comme « la
femme de Nat Gutman », ou celui mondialement connu de
Sara, côtoient des scènes de rue à Varsovie ou Bratislava.
Mais le talent de Vishniac est de composer une image universelle qui va
au delà du sujet. Ses photographies nous renseignent sur les conditions
de vie de ces communautés juives mais par leur composition, leur
beauté, elles rejoignent, et rappellent, les prises de vue les
plus célèbres des trente années à venir. Une
ménagère dans les rues boueuses de Lublin fait écho
aux photos de Cartier Bresson dans les bidonvilles parisiens. Celle d'un
carrefour dans un quartier juif de Bratislava évoque les photos
de Montmartre de Willy Ronis (lui même juif d'Odessa). Le visage
d'un jeune élève à l'école élémentaire
présente de nombreux points de parenté avec les photos d'école
Doisneau. Même des images de 1939 au Werkdorp Nieuwestluis, camp
d'entrainement agricole juif aux Pays Bas, présentent des similitudes
très fortes avec des photographies de propagande russe, Vishniac
structurant ses photos par les lignes de force simples, la contre plongée
accentuant l'optimisme vers l'avenir et un mode de vie idéalisé. Son travail, véritable synthèse de l'histoire photographique, Vishniac va le poursuivre, après guerre. Réfugié aux États Unis, comme Capa, comme Seymour, il va lui aussi obtenir la nationalité américaine. Comme Seymour, il va être envoyé en Europe, pour photographier les camps de réfugiés juifs et là encore témoigner. Comme Seymour il va photographier les enfants jouant dans les ruines de villes bombardées, portant un regard tendre sur la vie qui continue et reprend. Plus optimiste, ces photos figent souvent des sourires, des moments de tendresse, une fleur poussant au milieu des gravats. Il revient longuement à Berlin, photographie même ce qu'il reste de ce qui était autrefois son salon. Comme beaucoup de photographes célèbres de l'époque, épousant l'histoire et l'évolution économique de l'univers photographique, Vishniac va alors réaliser de nombreux portraits de célébrités, pour une presse friande de ce type de documents. Moins percutants, à l'exception du génial portrait d'Albert Einstein, ces travaux n'apportent guère au talent du photographe naturalisé américain qui termine sa carrière en revenant à ses passions scientifiques d'origine. Il devient ainsi l'un des premiers à pratiquer la microphotographie en couleurs, procédé qui témoigne surtout de la variété de son art. Trop longtemps catalogué comme photographe de la communauté juive, ce livre et cette exposition, démontrent qu'au delà du sujet principal de son travail, Vishniac fait partie des photographes qui ont marqué l'évolution de la photo dans ces années trente. Militant de la cause juive, conscient de l'impact de ses images, de leur caractère historique, ses prises de vue ont su dépasser le caractère documentaire pour rentrer dans l'histoire de la photographie sociale et humaniste. (1) Exposition : « De Berlin à New York . 1920-1975 » photographies de Roman Vishniac. Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme, 71 rue du Temple 75003 Paris. Jusqu'au 25 Janvier 2015. Livre : « Roman Vishniac ». Photo Poche N°153. Introduction de Maya Benton . 13 €. ISBN : 978-2-330-03669-0 Eric Rubert |
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