DAVID
SEYMOUR : UNE VRAIE VIE DE CHIM
C'est un soir
de Mai 1947. New York. Premier étage du MOMA (Muséum of
Modern Art). Ils sont au moins trois autour d'une bouteille de champagne.
Un Magnum de champagne plus exactement. Ils s'apprêtent à
révolutionner le monde du photo journalisme pour plusieurs décennies. Le
premier d'entre eux s'appelle Henri Cartier Bresson. Il assiste à
sa première exposition posthume de son vivant ! Prisonnier
en Allemagne, on le croyait disparu. A côté de lui, le sourire
hâbleur d'un hongrois : Robert Capa, déjà mondialement
connu à la suite de ses photos sur la guerre d'Espagne et du débarquement
du 6 juin 44. A sa droite, le moins célèbre : un britannique
du nom de George Rodger, qui vient de réaliser les premières
photographies du camp de la mort de Bergen-Belsen. Comme les mousquetaires
il manque le quatrième ; un peu rondouillard, des lunettes
cerclées, à la silhouette alourdie. On le connait surtout
sous le surnom de « Chim ». Il s'appelle en réalité
David Seymour depuis sa naturalisation américaine qui date de quelques
mois. C'est à lui que s'intéresse Carole Naggar dans sa
biographie récemment publiée, le troisième par ordre
de célébrité, lui qui participe ce même jour
à des milliers de kilomètres de là, dans le savoir,
à la création de l'agence Magnum en recevant à Paris
un télégramme l'informant que désormais « tu
es Président de Magnum Photos, Inc ». Capa a ainsi
mis à exécution un projet déjà évoqué
avant la guerre. Jusqu'à ce jour de 1947 les agences de presse
envoyaient les photographes qu'elles choisissaient couvrir les évènements
majeurs de la planète et demeuraient propriétaires des tirages
et des négatifs qu'elles pouvaient vendre et exploiter comme bon
leur semblait. Nos quatre mousquetaires de la photographie ont décidé
qu'ils devaient désormais être maîtres tant de leurs
travaux, de leurs choix éditoriaux que de leur financement. Dans
un « Yalta photographique », ils se répartirent
le monde. Capa et Seymour ne pouvaient que se rencontrer tant leur destin est similaire. Tous deux sont juifs, d'origine hongroise pour le premier, polonaise pour le second. Tous deux, inquiétés par la montée du fascisme dans leur pays respectif, vont se réfugier au début des années trente à Paris, où ils vont se rencontrer avec Cartier Bresson. Pour l'un comme l'autre, leur véritable carrière va débuter avec le premier conflit couvert par des photographes : la guerre d'Espagne. Ils sont engagés clairement à gauche, du côté des républicains en Espagne, du Front Populaire en France. Ils changent de nom à la même période : Endre Friedmann devient Capa et Dawid Szymin devient Chim. Ils aiment les femmes et ne se stabiliseront jamais de ce côté là. Ils vont se succéder à la tête de l'Agence Magnum. Tous deux mourront en reportage à deux ans d'intervalle sans entrer dans une zone de combat particulière : Capa saute sur une mine en Indochine, la jeep de Chim est mitraillée quatre jours après le cessez de feu sur le Canal de Suez. Est-ce cette similitude et le charisme de Capa qui ont mis Chim en arrière plan ? Peut être. Pourtant le photographe d'origine polonaise mérite aussi cette première biographie dont le premier intérêt est de rendre hommage à cet oublié de l'histoire. Car celui qui est devenu David Seymour a existé par lui même et par son propre travail personnel. Minutieusement, chronologiquement, s'appuyant sur plus de six cents documents récemment trouvés chez le neveu de Chim, Carole Naggar, suit Chim dans ses reportages évoquant son originalité, le sens de son travail tourné vers les déshérités, les enfants. Contrairement à Capa, Seymour ne cherche pas le corps à corps avec son sujet. Ses débuts sont marqués par la volonté de raconter une histoire et il travaille souvent avec un journaliste qui écrit le texte. Il s'imprègne de son sujet, prend son temps, fait preuve d'empathie avec les femmes et les hommes qu'il photographie, privilégiant les gens de la rue, les ouvriers, les commerçants. Il ne photographiera en fait que deux terrains d'opérations de guerre : la guerre d'Espagne, et le conflit de Suez. Cette approche humaniste on la retrouve dans ce qui constitue aujourd'hui la partie la plus connue de son œuvre : son travail réalisé sur les enfants d'après guerre, travail commandé par l'Unicef et qu'il étendra largement pour en faire une œuvre personnelle majeure. C'est de ce reportage qu'est issue l'une des photographies les plus fortes du XXème siècle, celle de Teseska, à Varsovie en 1948, dans une école spécialisée pour enfants traumatisés par la guerre. L'instituteur lui demande de dessiner sa maison et elle trace à la craie sur le tableau des lignes emmêlées. La fillette tourne alors vers Chim un regard halluciné. Regard inoubliable. Au fil des années, on suit ainsi la démarche de Chim, ses principaux sujets de prédilection et sa passion pour l'Italie : Cinecittà, le Vatican mais aussi son attention à la naissance de l'État d'Israël, son attirance pour les cérémonies religieuses, son remarquable travail sur les lieux d'immédiat après guerre en Europe intitulé « We Went Back » (nous sommes revenus). Capa débarque à Omaha Beach, revient sur le terrain d'opération dès juillet 1944. Seymour retourne sur les lieux d'opération en 1948, quatre ans plus tard, écart de temps comme un symbole de ce qui sépare le travail des deux photographes. Cependant l'homme apparaît peu derrière les lignes de cette biographie, les rares témoignages cités se contredisent comme si le reporter préférait se cacher derrière son appareil photo. A l'image de son physique, quelconque en apparence, et pourtant doté d'un charme incontestable qui lui permit d'entrer vers la fin de sa vie dans l'intimité d'Ingrid Bergman (ancienne maitresse de Capa !) ou de Sophia Loren. Plus que l'homme c'est donc le travail chronologique de Chim que l'on suit, travail illustré en deuxième partie de volume par une sélection de 70 photos, très bien imprimées, qui rappellent le talent immense de ce photographe trop méconnu qui joue sur l'ombre et la lumière et reste souvent attaché à une construction de l'image, plus qu'à la recherche de l'instant décisif. Cartier
Bresson avait dit que l'on pouvait s'attendre à la mort sur le
terrain de Capa tant celui ci prenait des risques dans ses reportages,
mais que celle de Chim dans des mêmes circonstances n'était
pas envisageable. Une manière comme une autre de dire que Chim
était toujours là où on ne l'attendait pas. « David Seymour. Vies de Chim » de Carole Naggar. Éditions Contrejour. 232 pages. 25 €. Eric Rubert
Faites
plus ample connaissance avec les œuvres et la vie de « CHIM »
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